La fiscalité fournit un flux stable de recettes pour financer les politiques de développement en établissant un cadre dans lequel s’effectuent les échanges et les investissements nationaux et internationaux. Ainsi, le principal défi pour les pays africains est de trouver un équilibre entre un système fiscal favorable à l’attractivité des flux financiers tout en dégageant des recettes suffisantes pour financer les investissements publics mis au service du développement économique.
Le développement est lié à un environnement budgétaire stable et prévisible afin de financer les besoins étatiques dans le domaine social et des infrastructures. Cela implique une bonne gouvernance et une responsabilité des dirigeants pour consolider la relation entre les gouvernants et les gouvernés. A ce propos, le développement social et économique en Afrique met l’accent sur les lacunes de la politique fiscale pour mobiliser des ressources nécessaires visant l’élargissement de l’assiette fiscale tout en luttant contre l’évasion fiscale et la criminalité financière. L’évasion fiscale et la fuite des capitaux vers les paradis fiscaux font perdre aux pays beaucoup de leurs recettes fiscales, qui restent vitales pour eux. Des montants colossaux, qui auraient pu normalement être utilisés pour financer le développement, alimentent les réserves des banques dans les paradis fiscaux.
L’évasion fiscale, qui gangrène le financement des politiques africaines de développement, fait appel à un renforcement de la qualité de la gouvernance par le biais d’une administration fiscale efficiente capable d’assurer le contrôle fiscal et exempte de corruption afin d’appliquer la règle de droit. En outre, une administration fiscale efficace demande une coordination fluide entre les différentes autorités centrales et locales pour atteindre les objectifs de la politique fiscale en toute transparence et selon les normes internationales reconnues en la matière.
Dans le cadre de ce rapport, nous nous intéresserons au cas algérien et tunisien, deux pays d’Afrique du nord où les réformes fiscales sont à la tête des stratégies gouvernementales depuis plusieurs années. L’Algérie, un pays riche en ressources naturelles essentiellement en hydrocarbures, essaye de se dissocier de son modèle économique basé sur une économie de rente pour mettre en avant une économie durable avec une remise à niveau de son système fiscal. La modernisation de la fiscalité en Algérie est étroitement liée à la diversification économique instaurant ainsi une nouvelle dynamique et une ouverture sur les autres secteurs. Par ailleurs, le modèle de développement adopté à l’aube de l’indépendance est arrivé à terme et les crises ayant touché le secteur pétrolier ces dernières années ont remis en question les orientations stratégiques de l’Algérie notamment après la chute du prix du baril survenue à la suite de la crise causée par la pandémie du coronavirus. Privé de sa principale source de recettes fiscales, le gouvernement algérien a souligné lors des dernières réunions du conseil des ministres notamment depuis celle tenue le 22 mars 2020 l’urgence de procéder à des réformes et surmonter ainsi les défaillances d’une administration fiscale plongée dans la lourdeur bureaucratique.
L’Algérie, brusquée par les derniers changements politiques, cherche à lutter contre l’évasion fiscale très répandue dans le clan de l’ancien président. La réputation de la classe politique algérienne a été entachée par d’innombrables scandales de criminalité financière ces dernières années, le dispositif juridique déployé mérite une identification de ses points culminants face au voisin Tunisien qui peine à réussir sa réforme fiscale depuis 2011. La Tunisie, petit pays d’Afrique du Nord dépourvu des revenus des ressources naturelles, compte largement sur les recettes fiscales pour financer le développement régional notamment dans les régions intérieures qui ont toujours souffert d’une marginalisation systématique appliquée par les différents gouvernements depuis l’indépendance en 1956.
La Tunisie a connu un changement politique radical en 2011, connu sous le nom de la révolution Tunisienne, ayant conduit au départ de l’ancien président et à une démocratisation des appareils de l’Etat qui résistent face à toute vague de changement. La chute du régime qui était en place et la transition démocratique a affaibli la force de la loi pour favoriser la prolifération des crimes financiers comme en témoigne le dernier scandale dit « affaire Alicante » ; 43 Tunisiens vivant à l’étranger sont impliqués à l’occasion de cette affaire dans des crimes financiers entre la Tunisie et l’Espagne qui incluent ; abus d’un privilège fiscal, non-déclaration de gains à l’étranger, non-retour des recettes d’exportation, réduction de la valeur des marchandises exportées à l’aide de documents frauduleux etc. A la suite de ces violations, plusieurs saisies ont été effectuées, il s’agit d’une vingtaine d’appartements et des parts dans le capital des sociétés à l’étranger, diverses marchandises saisies sans déclaration etc. Ce cas représente un échantillon des réseaux dont l’activité illégale a vu une augmentation durant ces dernières années. Les projets de réforme fiscale menés par les différents ministres des finances depuis 2011 n’ont pas abouti pour des raisons partagées avec l’Algérie ; la bureaucratie, la réticence de l’administration et la corruption sont à l’origine de ces échecs au point d’inscrire la Tunisie sur la liste des pays à haut risque et non coopératifs du groupe de l’action financière internationale GAFI en 2017. Une comparaison des projets de réforme de l’administration fiscale dans les deux pays est nécessaire pour mettre en relief les efforts nationaux dans la lutte contre la criminalité financière conditionnés par le respect de la transparence fiscale.
Quels projets de réforme pour l’administration fiscale ?
La fiscalité est au cœur du débat politico-économique en Tunisie et en Algérie du fait de la nécessité de repenser le modèle de développement économique et social portant l’inclusion, la création de l’emploi et de richesses plus équitablement distribuées. La réforme fiscale serait ainsi un moyen pour accroitre les ressources de l’Etat afin d’élargir ses marges de manœuvre pour une meilleure réponse aux attentes sociales. Cela requiert la mise en place d’un nouveau système fiscal équitable, efficace et transparent pour inciter les investisseurs privés à contribuer au développement régional.
L’administration fiscale en Tunisie et en Algérie souffre de la complexité des procédures administratives et de l’amplification de l’arsenal juridique avec une insuffisance des ressources financières et humaines ; un manque dans l’encadrement des agents fiscaux entrave l’efficacité de leurs missions de recouvrement. Il faut ajouter à cela l’absence de confiance dans la relation entre l’administration fiscale et le citoyen. L’appareil fiscal de l’Etat a été longtemps instrumentalisé comme un moyen d’intimidation et de répression, ce qui produit des actes d’insoumission fiscale et un désintérêt total de l’action publique, comme en témoigne l’insurrection de 1864 en Tunisie contre l’augmentation de la pression fiscale par l’administration beylicale chargée des impôts.
La réforme de l’administration fiscale est au centre de la réflexion dans les nouveaux modèles de développement économique et social ; c’est l’instrument par lequel l’Etat pourra mener efficacement sa politique sociale afin de veiller à un développement inclusif de l’économie. Une administration plus efficace permettrait une mobilisation des ressources fiscales en vue d’assurer l’élargissement de l’espace budgétaire par l’application d’une politique rigoureuse de recouvrement et de lutte contre la fraude fiscale. Cette réforme devrait rétablir la confiance entre le citoyen et l’administration fiscale afin de ne plus percevoir le paiement de l’impôt comme un racket de l’administration fiscale sur les revenus, mais un acte de citoyenneté. L’Etat devra se positionner non pas en racketteur mais en prestataire de services à la disposition du citoyen. Les milliards de dollars des revenus de la fiscalité pétrolière en Algérie qui se sont évaporés durant les deux dernières décennies sans contribuer au développement du pays ou l’indulgence des autorités tunisiennes dans le contrôle fiscal avec les grands holdings proches du pouvoir, alimentent la tension populaire et accentuent la résistance citoyenne contre l’obligation de payer l’impôt.
La Tunisie se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins ; les défis macro-budgétaires, qui sont de taille, bloquent la croissance économique du fait de la pression budgétaire provenant des dépenses sociales nécessaires pour protéger les individus les plus vulnérables, de l’insuffisance du financement du développement dans les régions défavorisées, de la situation précaire des différentes caisses de sécurité sociale et des investissements d’infrastructure nécessaires. L’administration fiscale Tunisienne est donc appelée à renforcer ses efforts pour augmenter les recettes de l’Etat et lutter contre l’évasion fiscale. Cela passe par une réforme qui repose sur un allègement des procédures et l’unicité des codes fiscaux pour adopter un code général des impôts. Les revendications populaires qui se sont manifestées en 2011 ne pourraient se satisfaire qu’avec une révolution fiscale instaurant la crédibilité du système déclaratif, l’égalité devant l’impôt et la légitimité de l’Etat fiscal.
Le FMI considère dans un rapport publié en 2013 sur la modernisation de l’administration fiscale Tunisienne que le délaissement de l’administration depuis des décennies est à l’origine de la répartition inéquitable de la charge fiscale et du développement du phénomène de la fraude. La mission de cette administration devrait être repensée pour une meilleure gouvernance financière et fiscale. Des expériences comparées pourraient inspirer le gouvernement Tunisien pour la mise en place progressive d’un mode de gestion des administrations fiscales fondé sur l’autonomie et la collégialité. La direction générale des impôts, désorientée par la fragilité de la transition démocratique ayant conduit à une instabilité gouvernementale, verrait ses compétences transmises à une agence ou une structure séparée du ministère des finances dotée d’une autonomie de gestion, dirigée par un conseil d’administration et soumise au contrôle parlementaire et gouvernemental pour assurer le suivi de la réalisation de son programme de contrôle et de recouvrement. D’ailleurs, le parlement est au centre du nouveau régime politique en Tunisie et plusieurs agences ou autorités indépendantes sont soumises à son contrôle. Cette nouvelle logique administrative vise le changement de l’action publique par une nouvelle gouvernance permettant de mettre en place un système d’information et de communication fiable et cohérent.
La modernisation de l’administration fiscale Tunisienne repose sur une numérisation des services et des bases de données pour exploiter les informations et les recoupements fournis par les systèmes informatiques dans les plus brefs délais, ce qui permettrait de démanteler progressivement le régime forfaitaire en isolant les vrais forfaitaires des faux-forfaitaires, et de distinguer en matière de contrôle, entre entreprises coopératives et entreprises non coopératives. L’efficacité du dispositif structurel fiscal en Tunisie est liée au droit d’accès à l’information avec la levée progressive du secret bancaire et le renforcement du transfert de la charge de la preuve sur le contribuable. Sur un autre plan, une réorganisation du ministère des finances est nécessaire pour rompre avec la conception classique d’un ministre des finances gardien du trésor ; le budget est un instrument essentiel de la politique économique et le ministre des finances doit être en même temps ministre de l’économie car la politique économique et la politique budgétaire sont liées. A ce propos, le gouvernement de Mehdi Jomaa en 2014 a fusionné les deux départements mais cette expérience n’a pas duré longtemps et le département ministériel des finances a retrouvé son ancienne dénomination du fait de l’instabilité gouvernementale en Tunisie qui entrave toute tentative de réforme fiscale depuis 2011.
En Algérie, l’administration fiscale souffre de dysfonctionnements structurels qui sont la résultante de la complexité du droit, de la prolifération des textes dont l’effectivité reste incertaine et de la sociologie administrative de la direction générale des impôts qui freine sa modernisation. Ce constat est alarmant à l’heure de changements profonds dans le monde où les administrations fiscales cherchent constamment les meilleurs moyens pour s’adapter aux mutations politico-économiques. La modernisation du secteur public n’est plus une option mais une nécessité afin d’aider les autorités publiques à répondre à l’évolution des besoins de la société et pour maintenir le niveau de compétitivité sur le marché international. Le système fiscal algérien est marqué par sa lourdeur, la complexité de ses procédures et ses taux d’imposition prohibitifs peu rentable sur le plan budgétaire, qui ne participent pas activement à la dynamique de la croissance. Alors que, la fiscalité est l’instrument de régulation économique et sociale qui organise la perception des impôts et des taxes au profit de l’Etat et des collectivités locales.
Le gouvernement algérien essaye quant à lui de continuer la réforme du cadre macroéconomique initiée depuis plusieurs années, visant à améliorer la gestion des finances publiques mais aussi à maximiser les recettes fiscales, compte tenu de la situation économique du pays. Le projet du plan d’action du gouvernement présenté au mois de février 2020 explique que la nouvelle politique fiscale tend vers une augmentation des recettes de l’Etat à travers l’expansion de l’activité économique et non par la hausse du niveau des impôts. Une amélioration du recouvrement de la fiscalité ordinaire est nécessaire pour qu’elle puisse couvrir la totalité des besoins du budget de fonctionnement d’ici à 2024 et pour s’inscrire dans le cadre de la politique budgétaire rénovée et basée sur la rationalisation de la dépense publique. Ce plan prévoit également, l’instauration d’une procédure uniforme en matière de décisions fiscales dans un but de transparence, de cohérence et de sécurité juridique pour les opérateurs.
Le système fiscal algérien est à refaire pour répondre aux critères de prévisibilité, de stabilité et de compétitivité en matière fiscale pour assurer un double objectif ; la pérennisation des emplois et de l’équité fiscale d’une part, et la garantie d’une contribution équitable des différentes catégories de contribuables et de revenus au financement des dépenses publiques. Le processus de réforme de l’administration fiscale en Algérie, entamé depuis près de deux décennies, vise davantage l’organisation des structures et leurs modes de fonctionnement. Il crée un nouveau schéma organisationnel avec la mise en place d’une administration fiscale centrée vers les contribuables dotée de structures modernes de gestion et adaptées au tissu fiscal. Des établissements destinés aux petits contribuables ont été créés pour une nouvelle organisation des services des impôts avec la mise en place de structures distinctes qui s’adressent aux différentes catégories de prestataires ; la direction fiscale a créé la direction des grandes entreprises DGE et les centres des impôts CDI qui s’adressent aux PME et aux professions libérales. De même, la proximité avec le citoyen est sur l’agenda du gouvernement algérien pour instaurer un rapport de confiance avec le contribuable en créant la direction des relations publiques et de la communication, chargée de la mise en place d’une nouvelle stratégie de communication dirigée aux médias, les associations et les organismes contribuant activement en tant que relais d’option. La principale vocation de cette structure est la promotion de l’image de marque de la DGI en améliorant ses nouveaux services.
Sur un autre plan, la direction générale des impôts s’est enrichie d’une nouvelle direction de l’information de la documentation fiscales qui collecte l’information fiscale, constitue des bases de données en relation avec les autres institutions de l’Etat et met en œuvre le droit d’accès à l’information auprès des tiers. Cette démarche est la continuité de l’instauration d’un système d’information et de communication en vue de moderniser les fonctionnalités de l’administration permettant ainsi de faciliter l’accès aux services rendus aux usagers. Cette débureaucratisation des services fiscaux simplifie les démarches pour les usagers et optimise la gestion de l’assiette fiscale. Ainsi, l’administration fiscale algérienne est en train d’améliorer la qualité de ses services pour renforcer les divers dispositifs de suivi et d’encadrement du recouvrement en dématérialisant les procédures à l’instar de l’attestation d’exonération de la franchise en collaboration avec les douanes et le ministère du commerce, l’instauration du télépaiement et de la télédéclaration, ainsi que d’autres projets portant sur la connexion des installations des centres d’impôt avec le système d’information fiscale.
Pour améliorer l’efficacité du contrôle financier, le plan de réforme fiscale en Algérie a prévu l’élargissement des attributions des organes de contrôle, notamment la cour des comptes et l’inspection générale des finances. C’est dans la perspective d’intensifier la lutte contre les fausses déclarations que tous les moyens de l’Etat seront déployés pour lutter contre la fraude fiscale et financière.
De la transparence fiscale et la lutte contre la criminalité financière
La réforme fiscale en Tunisie ou en Algérie a comme objectifs le renforcement de l’équité fiscale, la transparence, la lutte contre l’évasion fiscale, la relance de l’investissement et la simplification du système fiscal. Cela s’inscrit dans la politique de développement des deux pays pour accélérer le train de la croissance économique, réduire les inégalités et le chômage et renforcer la bonne gouvernance.
La Tunisie doit faire face à une évasion fiscale de 1.5 milliard de dinars (presque 500 millions d’euros) par an, ce qui représente 25% du budget réservé au développement en 2019. Ce montant aurait pu modifier le paysage de plusieurs régions intérieures en améliorant les infrastructures, les services publics et les conditions de développement pour relancer l’investissement et créer des postes d’emploi. Les indicateurs économiques du pays montrent une fraude fiscale massive parfois avec l’accord tacite de l’Etat comme en témoignent les 400.000 contribuables frauduleusement logés dans le régime forfaitaire. De même, près de 30% des contribuables tunisiens ne payent pas leurs impôts dans les délais.
Le spectre associatif et les experts en Tunisie pressent en vue d’adopter des mécanismes efficaces pour renforcer la transparence et le contrôle afin de lutter contre ces comportements. Des tentatives de mise en place de caisses enregistreuses, instaurées par l’article 48 de la loi de finances pour l’année 2016, ont été repoussées par les commerçants. Il serait ainsi nécessaire d’activer le rôle de la brigade fiscale, accentuer la levée du secret bancaire et appliquer de façon plus stricte les dispositions relatives à l’interdiction des paiements en espèces. Il est impératif également de réduire au minimum le recours aux niches et aux amnisties fiscales, très favorables à la prolifération des fléaux de l’évasion fiscale. Sur un autre plan, le gouvernement Tunisien devrait accélérer l’intégration progressive du secteur informel représentant près de 50% de l’économie nationale dans le système formel pour générer plus de recettes fiscales.
Tous ces efforts requièrent un contrôle fiscal efficace, mais la Tunisie ne compte que 1600 contrôleurs fiscaux dont près d’un quart qui n’exercent pas sur le terrain, pour une population de 12 millions d’habitants. Cela représente un pourcentage de contrôle de l’ordre de 0.9%. Autrement dit, 99% des entreprises Tunisiennes échappent au contrôle fiscal, chaque année. Pour palier de déficit, les autorités Tunisiennes ont créé en 2017 la brigade d’investigation et de lutte contre l’évasion fiscale qui a pour mission la lutte contre le phénomène de l’évasion fiscale dans les différentes activités économiques dans le pays. C’est une brigade spéciale qui relève de la direction générale des impôts et qui a un caractère judiciaire ; elle travaille sous la direction du procureur général de la république et des procureurs des cours d’appel. Elle compte 30 contrôleurs fiscaux qui sont habilités à rédiger des rapports sur chaque infraction faisant l’objet d’une enquête tout en assurant la recherche et la collecte de données fiscales. Elle est chargée des grands dossiers de l’évasion fiscale, en coordination avec la banque centrale de Tunisie, la douane et la police afin de protéger l’économie et assurer le recouvrement des recettes fiscales.
S’agissant des professions libérales, l’administration fiscale Tunisienne reproche à ces derniers la fausse déclaration de leurs revenus imposables. Une résistance farouche de la part de l’union des professions libérales en Tunisie, a créé une polémique face à l’obligation de facturation et de mention du matricule fiscal pour les bénéfices non commerciaux lors des discussions ayant précédé l’adoption des lois de finances de 2016 et 2017. Cette mesure permettrait d’améliorer la transparence fiscale en facilitant la traçabilité et le suivi pour l’administration fiscale. De plus, l’interdiction du paiement de montants d’une valeur supérieure ou égale à 5000 dinars HT (près de 1600 euros) a été mise en vigueur avec l’interdiction de déduction des montants payés dans les paradis fiscaux dans le cadre des efforts nationaux contre la fraude fiscale.
Les autorités Tunisiennes ont été amenées à mettre à niveau le dispositif juridique national de lutte contre la criminalité financière après la pression exercée par l’union européenne et les institutions financières internationales pour se conformer aux normes et règles régissant la matière. D’ailleurs, la Tunisie a participé au forum mondial organisé en 2019 par l’OCDE sur la transparence et l’échange des données fiscales en affirmant son engagement pour adhérer à toute initiative visant la lutte contre les stratégies d’optimisation fiscales adoptées par certaines entreprises qui tirent profit de l’absence d’harmonisation fiscale à l’échelle internationale afin de transférer artificiellement leurs profits vers des Etats dont le taux d’impôt sur les sociétés est très faible voire nul, diminuant ainsi les recettes fiscales des Etats. Cette optimisation fiscale porte préjudice aux Etats émergeants comme la Tunisie dont le tissu économique compte 3000 sociétés off-shore.
En Algérie, le trésor public avait enregistré un manque à gagner de l’ordre de 30 milliards de dollars les vingt dernières années. Ce préjudice s’est aggravé pendant 15 dernières années, s’établissant autour des 40 milliards de dollars. Ce n’est que dernièrement que le gouvernement algérien a pris au sérieux la gravité de l’évasion fiscale ; Des noms de fraudeurs commencent à être dévoilés avec des chiffres sur le sujet, alors qu’auparavant, c’était un secret. Cela est dû à la succession de scandales mettant en cause plusieurs entreprises nationales et étrangères qui procèdent par des majorations de leurs importations pour transférer les devises à l’étranger. Ces pratiques d’optimisation fiscale et de surfacturation permettent la réduction de la part des bénéfices imposables en Algérie, en transférant un maximum de devises à l’étranger et en réalisant leurs marges bénéficiaires à l’extérieur du pays. Des affaires comme celle du laboratoire français Sanofi Aventis qui a été condamné en 2012 pour surfacturation des importations, ont révélé par le biais des enquêtes des services des douanes et de sécurité plusieurs transferts illicites mettant en causes des établissements comme la banque HSBC.
Une mutation des outils de la lutte contre la fraude fiscale est nécessaire en Algérie pour accompagner les réformes structurelles économiques et budgétaires visant à rétablir les équilibres de la trésorerie de l’Etat et la balance des paiements en 2022. Ainsi, les autorités algériennes a haussé le ton face aux crimes financiers à travers un durcissement des sanctions à l’encontre des fraudeurs fiscaux en 2020 tant dans le secteur public que privé, tout en renforçant le contrôle interne de l’administration fiscale et douanière. Le président de la république a exprimé dernièrement son intention de criminaliser l’évasion fiscale en érigeant le non-paiement des impôts au rang de crime économique. Par ailleurs, le gouvernement voudrait intégrer une révision de la loi relative à la lutte contre la corruption en instaurant un cadre législatif pour protéger les lanceurs d’alerte. Également, tout responsable quel que soit son rang, à l’exception du président la république comparaitra devant un tribunal si un acte de corruption est commis.
Un futur projet gouvernemental compte mobiliser tous les moyens nécessaires pour contrer les fléaux financiers, à l’image de la lutte contre les fausses déclarations, les infractions douanières notamment en matière de surfacturation et de fuite de capitaux. Le gouvernement algérien promet de déployer des efforts supplémentaires pour pallier ces dysfonctionnements et ces grandes pertes affectant l’économie nationale causés par un faible niveau de recouvrement fiscal. Il prévoit 6200 milliards de dinars algériens pour l’année 2020 contre 5200 milliards en 2019. D’autres réformes devraient être introduites dans le paysage structurel de la fiscalité en Algérie comme la constitution d’une institution nationale rattachée à la présidence de la république, regroupant les ministères des finances, du commerce, de la justice et de l’intérieur, dont la mission sera de protéger l’économie nationale des crimes financiers et économiques.
Les administrations fiscales en Tunisie et en Algérie partagent généralement les mêmes traits caractéristiques ; les projets de réforme fiscale sont toujours ralentis du fait des tiraillements politiques qui divisent la classe dirigeante. Les manifestations lancées en 2019 en Algérie ou le « Hirak » et la transition démocratique Tunisienne troublée et menacée par un retour à la case de départ, affaiblissent l’autorité de l’Etat et bloquent l’avancement des projets gouvernementaux pour atteindre une action administrative efficace. Le train du développement n’a pas encore annoncé son arrivée dans les régions nécessiteuses qui leur manquent les ressources financières capables de moderniser l’infrastructure et les services publics, alors que des flux financiers colossaux circulent en dehors du circuit formel pour atterrir dans des paradis fiscaux. Le droit du citoyen au développement et à l’équité fiscale devrait être protégé en Tunisie et en Algérie comme dans tous les pays africains.